Qu'est-ce que l'abstraction lyrique ?

- Catégories : La peinture abstraite

Définition de l'abstraction lyrique

L'abstraction lyrique désigne un mouvement artistique qui s'étend approximativement de 1945 à 1970 et dont il existe deux principales branches : l'une européenne, l'autre américaine.

Bien qu'ayant de nombreuses similitudes – notamment la volonté commune de leurs représentants d'exprimer une vérité enfouie au plus profond d'eux-mêmes – elles se distinguent néanmoins par les orientations et les démarches parfois très différentes que ceux-ci ont pu adopter.

La naissance d’un mouvement artistique très spécifique

Cette expression particulière a été choisie car ce courant tenait à se distinguer de toutes les autres formes d’abstraction qui existaient alors, telles l’abstraction géométrique ou le constructivisme.

Bien qu’ayant des points communs avec ces derniers, et en premier lieu une forme d’expression totalement non-figurative parfaitement assumée, l'abstraction lyrique veut surtout traduire « l’expression directe de l’émotion individuelle » : c’est donc les sentiments profonds de l’artiste qui priment sur tout le reste.


Pour cela, elle revendique une écriture picturale très spécifique : l’évolution vers ce langage abstrait des émotions se fait à travers la couleur et surtout la gestuelle. De nouveaux procédés plastiques sont alors mis en œuvre, parfois très surprenants : projection de peinture, brossage, grattage de la toile…

Sa première rencontre avec le public se fait sous la houlette de deux personnalités du monde de l’art qui en seront de fervents porteurs : le critique d'art Jean José Marchand et le peintre George Mathieu. Ils sont à l’origine d'une exposition organisée à la galerie du Luxembourg en 1947 que ce dernier aurait voulu titrer Vers l'abstraction lyrique. Un autre titre sera finalement adopté, mais l’expression était née et le nouveau courant avec.

Un seul courant, plusieurs voies aux libres interprétations

Pour comprendre sa naissance, il faut remonter un peu dans le temps.


Si l’après-guerre a grandement favorisé le passage à l’abstraction picturale, celui-ci s’est pourtant amorcé quelques décennies auparavant, au début du XXe siècle. Car il ne faut pas oublier que la recherche des artistes à cette époque se portent très tôt vers une expression simplifiée de la Nature, du monde, des sens qui passe essentiellement par la couleur.

C’est donc naturellement que le passage de l’expressionnisme figuratif à l’abstraction se fait par ce biais, grâce en partie aux expérimentations de l’artiste russe Vassily Kandinsky.

De nombreux précurseurs ?

Kandinsky recherchait avant tout une « régénération du monde par un art de pur intériorité » (Ernst H. Gombrich). Grand mélomane lui-même, ses nombreuses expériences de « musique colorée », comme il aimait à les appeler, et réalisées dès 1909-1910, mettent alors l’accent sur les effets psychologiques de la couleur. Ces premiers essais sont en fait les tout premiers exemples d’art abstrait de l’Histoire. On pourrait même ajouter d’art abstrait lyrique, car il est aussi le premier à voir le lien évident entre peinture et musique et à associer, dans son travail, recherche picturale et musicale, non pas dans un simple effet décoratif, mais avec une dimension cosmique : c’est sa fameuse « musique des sphères » énoncée dans son essai majeur Du Spirituel dans l’art (1912). L’abstraction lyrique telle que définie plus tard se détachera néanmoins de lui par son éloignement d’un art purement géométrique.

Paul Klee et Piet Mondrian, tout aussi « mystiques », suivent ses pas tout en développant leur propre langage. D’autres artistes, sur leurs traces – Hans Hartung puis Joan Miro en particulier – déploient à leur tour, dans les années 1920, d’étonnantes formes plastiques que l’on peut déjà aussi qualifier de lyrisme abstrait. Tous ont ouvert la voie – ou plutôt les voies – aux générations suivantes qui s’emparent de ces recherches pour créer de nouveaux modes d’expression, tantôt très axés sur le chromatisme, tantôt libérant complètement la gestuelle de l’artiste. Parmi ses grands noms, on trouvera Nicolas de Staël, Pierre Soulages ou encore le Chinois Zao Wou-Ki.

Les principales branches de l’abstraction lyrique

On retrouve plusieurs branches spécifiques dans l'abstraction lyrique.

La branche européenne : une grande sœur très libérée

Contrairement à sa consœur outre-Atlantique, l'abstraction lyrique européenne a une date de naissance précise : 1947. Trois ans plus tard, son courant initial et principal, le tachisme, est défini précisément par les critiques Pierre Guéguen, Charles Estienne et Michel Tapié, son grand défenseur. Il se répand ensuite dans toute la France et l’Europe au milieu des années 1950.
Il s’agit d’un style pictural très gestuel qui place comme acteur principal de la toile la tache (d’où son nom). Les jets spontanés de peinture donnent ainsi à la ligne un « aspect de sismographe psychique ». L’artiste français d’origine allemande Hans Hartung, dans sa quête constante d’expression pure et libre, en est le précurseur dès 1920.

Tout aussi connu si ce n’est plus que le précédent, l’expressionniste abstrait, désigné plus souvent par sa dénomination anglo-saxonne action painting, est sans doute le plus productif. On pense au célèbre américain Jackson Pollock, premier et principal représentant avec sa fameuse technique du dripping, mais il ne faut pas en oublier pour autant d’autres de ses fervents défenseurs : le Hollandais Willem De Kooning (son précurseur, bien qu’il refusât toute affiliation à un courant particulier), l’Allemand Hans Hofmann, grand coloriste (et considéré comme « son véritable inspirateur » ou « son initiateur » par certains critiques) et le Français Georges Mathieu à qui l’on doit l’expression même d'abstraction lyrique.
Ce concept pictural met l’accent sur l’acte physique de peindre, en mettant surtout le geste au cœur de l’œuvre, pour traduire les impulsions les plus viscérales, qu’elles soient physiques ou psychiques.

Enfin, on peut aussi citer le groupe CoBrA, une autre illustration brillante et fulgurante de la créativité des artistes abstraits. Nommée d'après l'acronyme de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam, nom des villes de résidence de la majorité de ses membres fondateurs, cette formation d’artistes compte Asger Jorn, Karel Appel, Pierre Alechinsky, Arton Constant et Guillaume Corneille, rassemblés à Paris en 1948 autour d’une même idée : s’éloigner de toute forme artistique « contaminées par les normes et conventions occidentales ». Ainsi, ils convoquent comme modèles les totems et signes magiques des cultures primitives par exemple, ou encore l’art préhistorique ou médiéval, la calligraphie orientale… Ils puisent également dans les pans encore non exploités de leur propre culture, comme l’art primitif ou naïf, l’art populaire nordique, voire même des créations infantiles ou de personnes mentalement déficientes, rejoignant ainsi la même dynamique que l’art brut : la spontanéité et l’expression directe du psychisme de l’individu sans le moindre filtre.

La branche américaine : une petite sœur plus sage

La vague de l’abstraction lyrique que connaît l’Europe touche le Nouveau Continent à peu près au même moment, mais cette version américaine ne sera théorisée qu’en 1969.
La déferlante américaine se veut pourtant dès le début très créative et productive. Elle se distingue de la précédente de deux manières : d’une part en réaction à ce qui a déjà été fait en Europe, d’autre part par son évolution vers un nouveau langage pictural.

Né à New York dans les années 1940-1950, en opposition à l’action painting, le mouvement Color field painting (littéralement « peinture en champs de couleur ») revendique néanmoins son appartenance à l’expressionnisme abstrait auquel il donne un souffle nouveau.
En effet, contrairement à celui-ci, les œuvres de ce style sont facilement reconnaissables à leurs grandes étendues de couleurs vives qui écrasent la perspective et abolissent ainsi toute profondeur sur la toile. Moins de coups et d’action pour plus de constance dans la forme et la couleur, tel en est le principe. « La couleur est libérée de son contexte objectif et devient le sujet en lui-même ».
Robert Motherwell, Adolph Gottlieb, mais surtout Mark Rothko, Clyfford Still et Morris Louis, considérés comme les chefs de fil, ainsi que Kenneth Noland, qui s’inspire, avec le précédent, d’Helen Frankenthaler (élève de Hans Hofmann) et Barnet Newman en sont les principaux artistes. Ce courant continuera de s’affirmer dans la décennie suivante, puis poursuivra son évolution vers d’autres mouvements abstraits avec Ellsworth Kelly ou encore Frank Stella.

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